Lfch-Interview de MandrakeSoft

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Interview de MandrakeSoft

par aegir

Note : Cet article a été publié initialement le 6 septembre 2001 sur LinuxFrench sous le titre « MandrakeSoft répond aux questions de LinuxFrench » à l'adresse suivante : http://www.linuxfrench.net/article.php?id_article=590. Aucune modification, autre qu'orthographique, n'a été apportée depuis quant à son contenu.

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Après avoir fait l'événement cet été en s'introduisant en bourse, MandrakeSoft se trouve à un virage de son histoire. Voulant en savoir plus, LinuxFrench a saisi l'occasion pour connaître les points de vue tant de Jacques Le Marois que de Gaël Duval concernant la nouvelle situation de l'entreprise, mais également sur les perspectives de Linux et du logiciel libre en général.

LinuxFrench : Tout le monde ne connaît pas forcément Mandrake , qui êtes-vous et depuis quand existez vous ?

[Jacques Le Marois]+[Gaël Duval] : Mandrakesoft existe depuis presque trois ans. Notre vocation est de proposer un système d'exploitation Linux complet et simple d'utilisation. Mandrakesoft est une société Française à vocation internationale puisque nous avons des bureaux aux USA, Allemagne, Angleterre, Canada et que nous réalisation la plus grosse partie de notre CA à l'étranger.


LF : Quel est votre rôle exact dans l'entreprise ?

[Jacques Le Marois] : PDG - je dirige l'entreprise, je gère également les relations avec les investisseurs et la presse.

[Gaël Duval] : DG - je m'occupe principalement de tout ce qui touche à Internet (sites web, communication virale...) au sein de l'entreprise et des nouveaux projets à mettre en place. Je réponds aux interviews également.


LF : L'entrée en bourse à permis de lever des fonds, quelle est désormais la stratégie qui sera adoptée pour poursuivre la croissance de Mandrake ?

[JLM] : Jusqu'à notre entrée en bourse, notre ligne de conduite a été d'accroître notre part de marché le plus possible. Partis d'un succès d'estime nous avons réussi à devenir numéro 1 des systèmes Linux orientés "desktop" en moins de trois ans. Nous estimons avoir plus de 2 millions d'utilisateurs individuels dans le monde et plusieurs milliers d'entreprises utilisant nos produits. Dorénavant l'objectif est d'identifier et de "monétariser" cette base d'utilisateurs en leur offrant les produits et services qu'ils attendent. Cela passe entre autres par des offres de services faites avec des partenaires (formation, conseil, support) et des ventes directes ou avec notre aide de produits divers (MandrakeStore.com et bientôt une place de marché). C'est plus facile de transformer un utilisateur en client.


LF : Et quelles vont être désormais les priorités de développement ?

[JLM] : Mandrakesoft est très réputé pour l'usage Desktop. Cela reste un axe important de la société. Nous travaillons en plus à établir Mandrakesoft sur le marché de l'entreprise grâce à des produits (MandrakeSecurity, Prosuite) adaptés mais également à des offres de services adhoc.

[GD] : De plus en plus nous allons mettre l'accent sur les besoins des entreprises en rendant Mandrake Linux plus "adaptable" au sens où à partir du même produit on pourra obtenir soit un système sympa pour naviguer sur le net, écouter des MP3 et faire du traitement de texte, soit un système serveur très sérieux - voire austère pour ceux qui aiment cela - destiné à une utilisation serveur (web, bases de données, firewall...).


LF : La mandrake corporate server a eu un succès certain chez de nombreuses PME/PMI, mais il semble que le projet ne soit plus suivi, qu'en est-il réellement ?

[JLM & GD] : Le produit est devenu "ProSuite 8.1", il est directement ciblé entreprise, avec un support étendu s'il est acheté par le biais d'un VAR.


LF : Votre implication dans le libre est diversifiée (php nuke, bastille linux, KOffice, ...) et est une des plus importante dans le monde du libre, qu'est ce qui vous pousse à agir ainsi ?

[JLM] : Mandrakesoft est une société qui s'est développée à partir et grâce à la communauté du libre. Il est normal de contribuer en retour le plus possible à cette communauté dans la mesure de nos moyens. En échange nous avons le soutien de la communauté du libre. C'est un avantage très fort par rapport à des sociétés qui n'ont pas compris l'importance de cette intégration.


LF : Vous proposez plusieurs sgbdr sur votre distribution, pourquoi ne pas proposer plusieurs serveurs http tel que caudium qui est multithread ?

[GD] : Il n'y a pas de politique particulière par rapport à ce que nous mettons ou non dans la distribution. Si Caudium a une licence libre et qu'il y a une demande, il a toutes les chances de se retrouver dans Mandrake en plus d'Apache.


LF : Comptez-vous faire des formations qualifiantes (de type "Mandrake Certified") ? lesquelles ?

[JLM & GD] : Cela existe déjà depuis un certain temps avec notre offre "Linux Campus". Voir http://www.mandrakesoft.com/training Cette formation a d'ailleurs la particularité d'être une véritable formation à Linux, pas directement orientée Mandrake, qui amène à la certification LPI (Linux Professional Institute).


LF : Il est bien souvent impossible d'acheter un ordinateur sans système d'exploitation, ou bien avec Linux. Vous avez annoncé avoir signé des accord OEM avec HewlettPackard, concrètement qu'est-ce qui va changer pour le client final ?

[JLM & GD] : Les gens vont pouvoir acheter des PCs avec Mandrake Linux pré-installé et configuré pour la machine, c'est moins contraignant pour eux :-)


LF : Un ordinateur vendu avec une Linux-Mandrake pré-installée sera-t-il moins cher que quand il est vendu avec un autre O/S ?

[JLM & GD] : Oui bien sûr puisqu'il n'y aura pas à payer la taxe Microsoft. D'ailleurs si l'on fait la comparaison à système équivalent - système d'exploitation + suite bureautique - l'économie est très importante : plus de 4000 Francs !


LF : Que manque-t-il à Linux ?

[GD] : Une simplification du processus d'installation des logiciels. C'est encore très compliqué pour un débutant. Il manque également un plus grand nombre d'éditeurs de logiciels qui s'y mettent. C'est plus facile de porter une application Windows vers Linux que vers Mac :-)


LF : Que manque-t-il à Linux-Mandrake ?

[GD] : L'appui d'un grand groupe industriel qui aimerait rattraper le retard de la France et de l'Europe en matière de logiciel. La domination Américaine dans ce domaine est insupportable. On a bien réussi à rattraper notre retard en matière d'aviation commerciale avec Airbus, nous avons le premier lanceur spatial commercial du monde, et en terme de soft je pense qu'il y a une opportunité à saisir pour l'Europe avec le logiciel libre.


LF : Votre distribution est vendue partout dans le monde, surtout aux États-Unis et en Europe. L'approche commerciale de Mandrake est-elle différente suivant la région où elle vend ?

[JLM] : Nous avons des grossistes "classiques" dans les principaux pays occidentaux. Grâce à MandrakeStore.com nous pouvons également adresser tous les pays du monde. Il y a plus de 100 pays différents ayant commandé un produit à partir de ce site. Dans certains pays éloignés nous travaillerons de plus en plus avec des partenaires locaux pour produire et commercialiser nos produits "officiels". Bien souvent la version GPL librement téléchargeable est massivement utilisée dans les pays où des sociétés locales souhaiteraient travailler avec nous.

[GD] : Jusqu'à maintenant l'approche commerciale était relativement identique. Il y a des chances pour que nous affinions notre démarche dans l'avenir, notamment en terme de communication visuelle. Nous avons pris conscience que nous avons négligé les différences culturelles importantes qu'il existe entre les pays.


LF : Est-ce que vendre dans une région ou une autre influe sur le développement, ou bien impose des adaptations techniques spécifiques ?

[GD] : Au niveau technique, nous souhaitons faire un produit unique qui puisse être configuré en fonction du pays dans lequel il est utilisé. Nous sommes le système Linux le plus internationalisé, voire le plus régionalisé puisque nous supportons déjà en partie des langues comme le breton, le catalan etc. Mais nous ne ferons jamais des produits différents en fonction du pays de destination. Ça a été une erreur stratégique pour Red Hat de faire cela, en France en particulier.


LF : On a, ces derniers temps, entendu parler de différents projets open-source qui, à la faveur d'un changement de version, changent le type de licence et deviennent des produits commerciaux. Qu'en pensez-vous ? Y-a-t-il un moyen d'éviter cela ou bien est-ce une fatalité ?

[GD] : Ce qui est grave ce n'est pas le changement de licence puisque la version n-1 reste toujours libre et on peut reconstruire dessus. La véritable question c'est de savoir pourquoi une telle décision de changement de licence peut être prise. A mon avis c'est un problème de manque de confiance dans le business-model du logiciel libre. Nous croyons fermement qu'il y a des moyens de faire des affaires avec le logiciel libre, même en le vendant. C'est un peu comparable à la vente d'eau en bouteille, et ce dernier est un business florissant ! Le logiciel libre, c'est aussi un moyen de concurrencer farouchement le logiciel propriétaire et ceux qui font du logiciel propriétaire sur du logiciel libre font le jeu des éditeurs de logiciel propriétaires. Une démarche intéressante à méditer est celle de Troll Tech qui fournit ses produits avec une double licence au choix !


LF : Le fait que le développement de Gnome dépende de plus en plus d'une société commerciale (Ximian), cela a-t-il changé des choses ? En positif ou négatif ?

[JLM&GD] : Un problème de confiance au sein de la communauté GNOME à mon avis. Pour le reste, si Miguel peut faire du business avec GNOME, c'est tout le mal que je lui souhaite :-)


LF : Aujourd'hui, qui est votre principal concurrent ?

[JLM&GD] : Microsoft Corp.


LF : Aujourd'hui, qui est votre principal partenaire ?

[JLM&GD] : Les utilisateurs de Logiciels Libres.


LF : Avez vous une opinion au sujet des brevets logiciel ?

[JLM+GD] : Les brevets logiciels sont une menace pour le logiciel libre. C'est la porte ouverte au terrorisme juridique. Il suffit d'accumuler des brevets stupides puis de faire un procès pour être gagnant. Les logiciels libres sont particulièrement vulnérables à cette dérive car ils donnent accès au code source.


LF : Un message à transmettre aux utilisateurs de Linux-Mandrake ?

[JLM] : Investissez dans MandrakeSoft :-)


LF : Un message à transmettre a la communauté du libre ?

[GD] : Aidez-nous à améliorer votre système  ! Et si vous voulez que le libre l'emporte, aiguisez vos arguments et expliquez aux autres. Faites vous également rembourser vos licences Windows que vous n'utilisez pas.


LF : Être une entreprise française sur ce marché, c'est un avantage ou désavantage ?

[JLM&GD] : La France est souvent perçue comme un pays secondaire. C'est par exemple plus difficile de signer des accords avec des sociétés US ou encore de trouver des investisseurs que si nous étions aux USA. En revanche nous avons une approche beaucoup plus multiculturelle. Nous supportons ainsi de nombreuses langues et ne sommes pas perçus comme de vilain impérialistes arrogants.


LF : Vous avez eu, je crois, des contacts avec l'administration française. Quels sont les avantages et les obstacles à l'utilisation de Linux dans l'administration ?

[JLM] : Il y a une forte volonté politique d'introduire Linux. En effet c'est gage d'indépendance et permet d'économiser la "taxe Microsoft". De plus en plus de ministères basculent sur Linux. Certains sont en retard faute d'avoir compris les enjeux et l'importance.

[GD] : Ça avance doucement. Il ne faut surtout pas brusquer les choses. L'administration Française voit en Mandrake Linux une bonne opportunité d'avoir un système d'exploitation solide, bien Francisé, immune aux virus, sans "backdoors". Ils s'y mettent doucement. Cela ne doit pas être forcément évident de se mettre à refuser [à] Microsoft dont la part de marché des OS dans ce pays est la plus élevée au monde.


LF : Quelle est actuellement la position et l'action de MandrakeSoft vis à vis du marché du Linux Embarqué (pour les PDA, ou équipements domestiques) ?"

[JLM] : Nous faisons quelques projets d'embarqué sous forme de service. Nous avons fait le choix de diffuser tous nos développements en libre ce qui est peu compatible avec le business model de l'embarqué qui consiste à vendre une licence logiciel.

[GD] : Ce serait peut-être possible si nous vendions nous même des PDAs, mais ce n'est pas le cas.


LF : Que sera Linux-Mandrake dans 6 mois, 1 an, 2 ans ?

[JLM] : Linux à terme va devenir le standard de l'informatique. Du système embarqué jusqu'au supercalculateur en passant par les desktops et les serveurs. Mandrakesoft a vocation d'être l'un des trois plus gros acteurs Linux.


LF : Où en sont MandrakeSoft et les autres Linux-companies vis-à-vis de la Linux Standard Base ?

[JLM&GD] : C'est un travail de longue haleine. Nous sommes conformes aux spécifications LSB.


LF : Quelles sont vos relations avec la FSF Europe. Quelle est, d'après vous, l'utilité de cet organisme ?

[JLM&GD] : Très bonnes relations. Nous avons quand même un idéal similaire ! Il est bon que la FSF ne soit pas Américano-américaine.


LF : Quelles sont les sujets que vous aimeriez voir traités sur LinuxFrench.net ?

[JLM&GD]  : Les milles et unes façons de remplacer Windows avec Mandrake :-)


LF : Pour terminer, une question qui peut être prise pour une blague : verra-t-on un jour une Mandrake à base de Debian ?

[GD] : Non. Cette question est récurrente depuis juillet 1998 car à l'époque j'avais (Gaël) ce projet sérieux de faire une Mandrake à base de Debian. Ça ne s'est pas fait pour plusieurs raisons : aucun débianiste de mes connaissances n'avait le temps de s'intéresser au projet et le système Debian partait vraiment de trop bas en terme de facilité d'utilisation. Finalement, Mandrake est maintenant un OS à part entière - il est basé sur... Linux et les GNU utilities. Le premier but est atteint !

LF : Merci, et bonne chance pour les nouvelles aventures de MandrakeSoft !




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(c) 2001 Hervé Lefebvre